quoi ?

2011-4-13b
13.4.2011
Extrait de : petits exercices (de solitude)
Aquarelle sur papier Sennelier 15×15 centimètres

 

Partant, ce jeu de combinaisons :
Ne sait qui, ne sait non plus où il est ;
Unique – mais tout en lui se multiplie,
Sa plénitude s’accomplit par le vide ;
Et quand cela arrive, ne sait encore ni où, ni qui il est.
Restent : quelques petites vies pulsatiles;
S’envolent les grains du sable.
Le livre est ouvert sur ces pages.
Qui y pénètre n’en ressort,
Entre jamais et toujours.
Celui-là erre à l’infini :
Son nom est un miroir
Et ne se prononce pas;
L’innocence est le limon de sa conscience;
Nul besoin d’alphabet,
Car il est l’alphabet,
L’enfant sur le livre.
Les pages se balancent, telles des herbes folles,
Dans l’air, la caresse du temps.
Qui est-il ? Celui qui pense ?
Ou celui qui observe
La fuite des êtres,
Qui, comme les poussières, s’élèvent ?
Encore quelques points.
Les formes se fichent
Dans l’aire aveugle,
Les unes dans les autres, invisibles.
Un soupir les soulève.
Nul besoin de chiffres, et pourtant :
Il compte.
C’est que quelque chose passe ;
Quelque chose arrive.
L’espace se resserre
– A moins qu’il ne se déploie ?
Le verbe s’éteint.
Lui, le Premier, il disparaît.

Pascal Moreul
Solitaire.
Trente-sept lignes moins une, écrites entre les 8 et 10 mai 2008,
Maison Ilharéguy, Tardets-Sorholus, Soule.

 

 

2008-4-25
25.4.2008
Extrait de : petits exercices (de solitude)
Aquarelle sur papier Sennelier 15×15 centimètres

 

 

Créer c’est expérimenter sa propre présence au monde…

Pour aller où l’on ne sait pas il faut passer par où l’on ne sait pas

Saint Jean de la Croix

Le respect du réel.
Le réel, le vivant, le fragile, le mortel.
Justement parce qu’il doit mourir, le doublement sacré.
Celui qui ne sera qu’une fois dans l’infini des temps, et mourra pour toujours.

Romain Rolland
Le voyage intérieur

quoi ?
pour commencer… un espace. un champ exploratoire délimité – une feuille blanche, carré de 15 centimètres de côté.
lignes, taches, couleurs : une forme – un habitant ?
un temps. un mouvement. un résidu.
et recommencer – pouvoir recommencer éternellement crée une durabilité à partir de l’éphémère.

c’est en 1996, alors que j’étais en résidence à l’abbaye de La Prée, que j’ai commencé à travailler de manière constante à de petites œuvres sur papier de formats identiques
d’un besoin de concentration et de la rencontre avec un support approprié à cette recherche naissait ce qui allait devenir, avec le temps et au gré des mutations, un long cycle évolutif
d’inspiration biologique d’abord. fragments de vie. de ce qui fut vie .animal. végétal. insectes. pollen. paramécies et collemboles. hybride parfois.
de petites choses comme j’aime à dire, presque rien peut-être
mais qui aimeraient être comme des condensés de vie
un micro monde
né de l’errance du crayon dans la tache aquarellée ou de celle du pinceau sur la blancheur du papier
de mes divagations, rêveries, méditations
de mon rapport à la nature… si important pour moi
de mes promenades solitaires. tous les sens en éveil, le plus possible
se remplir les yeux, le nez, les oreilles…
sentir. toucher. frémir… se nourrir
avant que ne tombe la nuit
toujours en quête de quelque instant de grâce fugace
essayer de dire le plus possible avec le minimum, d’effet, de moyens, de temps
quelque chose comme des haïkus visuels
capables d’avoir leurs propres existences, chacun étant œuvre unique
mais pouvant se composer et recomposer en séries diverses, un peu comme les lettres d’un alphabet ou les mots d’un texte mystérieux, inventant à chaque fois de nouvelles combinaisons, de nouvelles relations

ces petits exercices de solitude, comme j’aime à les appeler en ce moment, peuvent aussi être associés à d’autres objets, ramassés ou créés, de petites sculptures, des photographies, participer d’une installation, chercher la rencontre d’autres arts, d’autres artistes, et ainsi, jouant des correspondances, trouver de nouvelles dimensions poétiques

Mathieu Schmitt 1998 // 2008

 

2009-8-23
23.8.2009
Extrait de : petits exercices (de solitude)
Aquarelle sur papier Sennelier 15×15 centimètres

 

 

Quand on vient savoir où l’on vient
Quand on part savoir où l’on part
Je ne lâche pas ma main de la paroi abrupte
Le nuage est si épais je ne sais où je suis.

Sengai

Car quoi ?
Qu’en est-il de cette pratique qui m’occupe depuis près de 20 ans maintenant ?
L’espace infini d’un carré de papier de 15 centimètres de côté.
Les tracés intensifs comme montés, tirés du brouillard blanc de la page.
D’espace en espace.
Mouvement.
Devenirs…
Etincelles ou densités.
Gouttes. Giclures. Bruits. Parasitages. Perturbations. Poussières. Résidus.

Une œuvre graphique sérielle et évolutive ?

Une pratique picturale à minima ?

Un inventaire de formes d’une maniaquerie inquiétante, entre le bestiaire microscopique et l’impossible pistage des contours de phosphènes ?

Des gouttes de pensées tombées sur le papier ?

Peut-être.
Je ne sais
Qu’importe, et à qui, de savoir ce qu’il en est d’une fragile pratique qui danse précautionneusement aux marches du chaos.
Le chemin se fait.

 

2010-2-7
7.2.2010
Extrait de : petits exercices (de solitude)
Aquarelle sur papier Sennelier 15×15 centimètres

 

 

Les concepts philosophiques sont des touts fragmentaires qui ne s’ajustent pas les uns les autres, puisque leurs bords ne coïncident pas. Ils naissent de coups de dés plutôt qu’ils ne composent un puzzle. Et pourtant ils résonnent, et la philosophie qui les crée présente toujours un Tout puissant, non fragmenté, même s’il reste ouvert : Un-Tout illimité, Omnitudo qui les comprend tous sur un seul plan. C’est une table, un plateau, une coupe. C’est un plan de consistance ou, plus exactement, le plan d’immanence des concepts, le planomène. Les concepts et le plan sont strictement corrélatifs, mais doivent d’autant moins être confondus. Le plan d’immanence n’est pas un concept, ni le concept de tous les concepts. Si on les confondait, rien n’empêcherait les concepts de faire un, ou de devenir des universaux et de perdre leur singularité, mais aussi le plan de perdre son ouverture. La philosophie est un constructivisme, et le constructivisme a deux aspects complémentaires qui diffèrent de nature : créer des concepts et tracer un plan. Les concepts sont comme les vagues multiples qui montent ou s’abaissent, mais le plan d’immanence est la vague unique qui les enroule et les déroule. Le plan enveloppe les mouvements infinis qui le parcourent et reviennent, mais les concepts sont les vitesses infinies de mouvements finis qui parcourent chaque fois seulement leurs propres composantes. D’Epicure à Spinoza (le prodigieux livre V…), de Spinoza à Michaux, le problème de la pensée c’est la vitesse infinie, mais celle-ci a besoin d’un milieu qui se meut en lui-même infiniment, le plan, le vide, l’horizon. Il faut l’élasticité du concept, mais aussi la fluidité du milieu. Il faut les deux pour composer « les êtres lents » que nous sommes.
Les concepts sont l’archipel ou l’ossature, une colonne vertébrale plutôt qu’un crâne, tandis que le plan est la respiration qui baigne ses isolats. Les concepts sont des surfaces ou volumes absolus, difformes et fragmentaires, tandis que le plan est l’absolu illimité, informe, ni surface ni volume, mais toujours fractal. Les concepts sont des agencements concrets comme configuration d’une machine, mais le plan est l’horizon des évènements, le réservoir ou la réserve des évènements purement conceptuels : non pas l’horizon relatif qui fonctionne comme une limite, change avec un observateur et englobe des états de choses observables, mais l’horizon absolu, indépendant de tout observateur, et qui rend l’évènement comme concept indépendant d’un état de choses visible où il s’effectuerait. Les concepts pavent, occupent ou peuplent le plan, morceau par morceau, tandis que le plan lui-même est le milieu indivisible où les concepts se répartissent sans en rompre l’intégrité, la continuité : ils occupent sans compter (le chiffre du concept n’est pas un nombre), ou se distribuent sans diviser. Le plan est comme un désert que les concepts peuplent sans le partager. Ce sont les concepts mêmes qui sont les seules régions du plan, mais c’est le plan qui est l’unique tenant des concepts. Le plan n’a pas d’autres régions que les tribus qui le peuplent et s’y déplacent. C’est le plan qui assure le raccordement des concepts, avec des connexions toujours croissantes, et ce sont les concepts qui assurent le peuplement du plan sur une courbure renouvelée, toujours variable. (…)

Le plan d’immanence emprunte au chaos des déterminations dont il fait ses mouvements infinis ou ses traits diagrammatiques. On peut, on doit dès lors supposer une multiplicité de plans, puisque aucun n’embrasserait tout le chaos sans y retomber, et que chacun ne retient que des mouvements qui se laissent plier ensemble. (…) Chaque plan opère une sélection de ce qui revient de droit à la pensée, mais c’est une sélection qui varie de l’un à l’autre. Chaque plan d’immanence est Un-Tout : il n’est pas partiel, comme un ensemble scientifique, ni fragmentaire comme les concepts, mais distributif, c’est un « chacun ». Le plan d’immanence est feuilleté. Et sans doute il est difficile d’estimer dans chaque cas comparé s’il y a un seul et même plan, ou plusieurs différents (…) Ce qui varie, ce ne sont pas seulement les plans, mais la manière de les distribuer. Y a-t-il des points de vue plus ou moins lointains ou rapprochés, qui permettent de grouper des feuillets différents sur une période assez longue, ou au contraire de séparer des feuillets sur un plan qui paraissait commun – et d’où viendrait ces points de vue malgré l’horizon absolu ? Peut-on se contenter ici d’un historicisme, d’un relativisme généralisé ? A tous ces égards, la question de l’un et du multiple redevient la plus importante en s’introduisant dans le plan.

Gilles Deleuze. Félix Guattari. Qu’est-ce que la philosophie ? 2. Le plan d’immanence.

One thought on “quoi ?

  1. Merci pour ces voyages intimes.

    J’ai envie de (re) voir vos dessins en vrai.

    Beaucoup aimé les couleurs des aquarelles.

    A bientôt.

    Brigitte (amie d’Elisabeth)

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